L’étreinte des temps
2019
Texte accompagnant L’étreinte des temps, œuvre d'art publique de la Société des archives affectives (Fiona Annis, Véronique La Perrière M. et membre invitée Nadia Myre), Parc Tiohtià:ke Otsira'kéhne, Montréal.


Photo : Guy L'Heureux


Étreintes et ramifications

Au loin se dessine la forme d’un arbre, s’érigeant au milieu d’une clairière, enveloppé de grands feuillus. Sa silhouette évoque celle du saule, à l’allure courbée telles les épaules d’une personne âgée, mais avec aussi un corps robuste, fier, solide. Nues et dorées, ses branches donnent déjà les indices de sa magie, certaines s’allongeant pour aller toucher la terre, s’y appuyer ou retourner à elle, redevenir racines.

Car c’est un arbre et en même temps plusieurs. Depuis sa base, il se ramifie en de multiples troncs, et il faut s’en approcher pour voir que toutes ses branches sont fortes de nombreuses tiges entrelacées. Une jeune tige s’entortille autour de ses semblables plus matures afin de les faire tenir toutes ensemble. Rappel que l’individu est toujours la somme de plusieurs — des existences qui précèdent la nôtre et vivent encore en nous et avec nous, de celles qui nous succéderont, nous enlacerons pour nous faire survivre au-delà de nous.

L’arbre est fait de tiges et de branches, mais aussi d’ouvertures permettant de nous faufiler en son centre. Voir le monde du point de vue de l’arbre et regarder tout autour. Penser ses branches tombantes un peu comme des mèches de cheveux devant nos yeux. Avoir vue sur la clairière — les plantes, les fleurs, les arbres, la neige — sur la plaine, puis sur l’horizon. Il y a des roches tout autour, bien plus anciennes encore, les aînées de la terre, silencieuses mais vivantes, prêtes à raconter les histoires d’autres temps aux jeunes pousses de l’achillée millefeuille, de l’aster ou du capillaire.

Les roches millénaires, les arbres centenaires, les plantes saisonnières et les bourgeons, ébauches des fleurs et des feuilles à naître, habitent les lieux ensemble. Et cet arbre, lui, semble être tout ça à la fois. Ni mort ni vivant, sans âge, touchant à la fois au ciel et à la terre. Sans feuilles en toute saison, comme en attente infinie du renouvellement.



Photo : Guy L'Heureux


Tiohtià:ke Otisrà’kéhne, là où le groupe se sépare, là où est le feu du conseil

Tiohtià:ke, Montréal, là où le groupe se sépare, c’est aussi parce qu’il a été réuni au préalable, et qu’il se réunira sans doute à nouveau. Telles les eaux du grand fleuve qui se divisent en rivières autour des îles, pour se rejoindre par la suite. Sur une des îles formées par ces embranchements, Tiohtià:ke est depuis des temps immémoriaux un lieu de vie et de relations, un lieu de réunion. Otisrà’kéhne, là où est le feu du conseil, c’est pour se guider, retrouver le groupe ou se retrouver soi-même.

L’étreinte des temps est un tel repère, nous conduisant à l’œuvre pour y retrouver la nature au centre de la ville, pour nous rappeler que la nature est aussi au centre de la vie, et que nous en faisons partie. L’arbre doré est également un guide éclaireur vers une foule de présences anciennes et nouvelles ; il nous invite à voir que notre passage en ces lieux s’entrelace avec ceux des esprits des temps passés qui habitent la montagne.


Faire s’entrelacer le temps

L’arbre est un parc, mais c’est aussi une médecine. Le saule est généreux — s’il est pleureur, on peut imaginer que c’est pour nous, alors qu’il offre de son écorce comme remède à certaines douleurs, de ses tiges pour le tressage ou pour la fabrication du fusain. Planter un arbre, c’est croire en la continuité. L’étreinte des temps, c’est en plus l’invention d’un arbre immortel, créé et construit à partir de la matière de l’arbre lui-même. Car c’est avec des rameaux de saule qu’il a été formé, suivant les techniques de la vannerie, pour ensuite être moulé, puis coulé en bronze en vue de durer toute une éternité. Ici, où d’autres l’ont précédé et de nouveaux pousseront à ses côtés, il nous amène à nous apaiser sous l’effet de la vie qui s’y trouve, à voir le temps présent s’entrelacer à tous les hiers et les demains qu’il faut savoir soigner et conserver.



Photo : Marc-Olivier Bécotte


La Société des archives affectives

La Société des archives affectives a été fondée en 2010 par Fiona Annis et Véronique La Perrière M., auxquelles s’est jointe Nadia Myre comme membre invitée pour la réalisation de L’étreinte des temps. Vouée à la production et à la conservation d’archives par le biais de la collaboration, la Société s’intéresse aux savoirs périphériques, aux relations qui existent entre les faits et la fiction, le documentaire et l’imaginaire. En plus des réalisations personnelles de ses membres artistes, les projets réalisés à ce jour par la Société incluent la conception d’expositions, d'installations vidéo et de performances ainsi que la production d'un livre d'artiste.