La tente parlante
Rassemblement et soirée de conversations littéraires autour de la tente
Un projet imaginé par Anne-Marie Proulx et Guy Sioui Durand
Dans le cadre de l'exposition Terres éloquentes
Maison de la littérature, Québec, QC
2019




Avec
Andrée Kwe’dokye’s Levesque-Sioui et Teharihulen Michel Savard
Joséphine Bacon et Laure Morali
Mikis Allyson Jean-Hébert et Mathieu Bouchard
Gervais Malleck et Anne-Marie Proulx (en l'absence de Mathias Mark)
Marie-Andrée Gill et Gentiane La France
Guy Sioui Durand et Caroline Loncol Daigneault

Un merci tout spécial à Alain-Martin Richard et Bruno Forest

En matinée — montage de la tente parlante
À midi — accueil et ouverture avec Andrée Kwe’dokye’s Levesque-Sioui et Teharihulen Michel Savard
En après-midi en continu — rassemblement autour de la tente parlante
Dès 19 h — soirée de conversations poétiques en duos


La tente parlante rend vivant et nomade le projet d’art photographique Terres éloquentes d’Anne-Marie Proulx, réalisé en conversation avec Mathias Mark et présenté à la Maison de la littérature pendant MANIF D'ART 9 — la biennale de Québec.

La tente parlante a été rendue possible grâce à l’appui financier du Conseil des arts et des lettres du Québec dans le cadre du programme Re-Connaître.





français

Écoutez ! Écoutez la voix de la tente. Elle nous invite à mieux entendre. Les chants du feu, qui nous réchauffe de ses danses. L’eau des feuilles, qui traverse nos corps. Les odeurs de sapinage, qui soignent nos intérieurs. La terre, d’où nous proviennent les pas des anciens – ils sont avec nous. Écoutez leurs voix, à travers les nôtres. Nos voix innue, wendat, atikamekw, québécoise, française portent des histoires. Et elles sont nombreuses, celles qui parviennent jusqu’à nous. Nos voix sont portage. Suivez les sentiers, tracés par les animaux, par les humains, puis par les mots. Ils sont conversation, ils sont transmission. La tente vous ramène dans les territoires. Et là, nous serons tous ensemble, à renouveler ces alliances qui nous précèdent, et qui sont encore ici, avec nous. Écoutez les cœurs, les nôtres, les vôtres, ceux du teueikan et du tambour d’eau, qui résonnent dans la tente.

wendat

Atatiahk de Yänonhchietsih
Tsatriho’tat! Tsatriho'tat de iwatonhk!

innu-aimun

Natutamiku. Natutamiku patshianitshuap. Tshuishamikuanu tshetshi petamaku, iskuteu ka tshishukuiaku namiaku. Nipisha e kutakaniti naikamuat tshuiuianua. Tshishtapakuan tshinatushikunan. Assit anite ka ut petakushiht amassepanuat anite tshitepueunat, wendat, innu, atikamekw, uepishtekuiau-mishtikushuat, tshishe-mishtikushuat kanuenitamuat tipatshimuna Mitshena ka kashtukuiaku. Aimititau.
Mitameuatau aueshishat anite ka takusseht, mauat uin innuat mauat uin aimuna. Aimimakuna, tipatshimukuna. Patshianitshuap kau tshitshiuetaikunan. Mamu tshe taiaku, tshika mamuitunan kau tshika uitsheuanitatishunanu. Natutamiku, uteia, tshinanu, tshinuau, manituat teueikanit kie nipi-teueikanit, petakushuat patshianitshuapit.

atikamekw

Kotc epitikean rikasmonik nintoten kekwan ka petakok nipeten ickote epikrek nipeten nipic emitiactak mia sa enimimkak
Enko kantokoitok chicopi kipimatisiwinak kotc pekon nipi ecinakok eaptak matisiwinik tekera
Mocak kipa witcekonok kimoconok tante e pa tachikeiko ekiskinomakoiko kaskinoamatisowin tekera kotc echinakok kitarmoeino innius, attikamekw kirika ka wapisitc papeiko tokon atisokewin takoniw kewir awesis ka ici kaskinomatasotc tapickotc iriniw kewir tan ecinakonik otarmwewin.
Epitekean rikasimonik warowik ntichi wapten matcisiwinik tekera
Ekote tca keici moteok tapickoc kitci nosonetaiko kit ci oski matcetaiko tan e cinakositc papeiko oteno kiapatc kawitcitachikemitokok ota kitaskinak
Nipi petakon rikasmonik kipetowano tewehikan kiteowok, kiteinan.


Traduction du français vers le wendat : Andrée Kwe’dokye’s Levesque-Sioui et Megan Lukaniec
Traduction du français vers l’innu-aimun : Joséphine Bacon
Traduction du français vers atikamekw : Kokom Thérèse avec la complicité de Sabrina Paton
Révision du français : Valérie Litalien




Photo : Charles-Frédérick Ouellet


Andrée Kwe’dokye’s Levesque-Sioui et Michel Teharihulen Savard sont tous deux membres de la Maison-Longue Akiawenrahk. Les rythmes de leurs chants et les sons du tambour d’eau s’entremêlent comme rivière.

Teharihulen dit de Kwe’dokye’s : « Salut ! T’es qui ? Tu fais quoi ? » sont probablement les premiers mots que j’ai dits à Andrée la première fois que je me suis adressé à elle. C’était dans un autobus vers Ottawa il y a une quinzaine d’années. « Je m’appelle Andrée et je chante ! » Hooo Kahahchia’, une chanteuse wendat ! J’aimais bien l’idée. Chanter, lire et performer sur scène impressionne toujours le cardinal, et même la cigale se tait pour l’écouter ; et quand elle ne se tait pas, c’est pour l’accompagner dans sa folie. Kwe’dokye’s aime les mots, et sait nous les faire aimer. Avec ses mots, sa voix et son tambour, Andrée nous transporte dans des univers qui nous sont inconnus, univers où l’on emménagerait avec plaisir. Parlez-lui des enfants, et ses yeux s’illumineront comme les étoiles sur le ciré de la rivière. Enseigner la langue wendat par le chant aux enfants est aussi bon pour Andrée qu’un petit morceau de chocolat noir aux noisettes.

Kwe’dokye’s dit de Teharihulen : Dans la maison longue, quand on entend « YO ! », on reconnaît la voix de Teharihulen. Il y fait vibrer le tambour d’eau, le hochet de tortue serpentine et les chants traditionnels durant nos cérémonies. Il est conservateur du Musée huron-wendat depuis une dizaine d’années. Esprit rebelle, pour la liberté et la justice, il se lève sans hésitation afin de défendre les droits de sa nation ; l’arrêt Savard de 2002, c’est lui. Quand il empoigne sa guitare électrique, il devient Link Wray jouant Rumble. Une idée, et ses yeux s’allument, ses mains insufflent une âme à ses créations. Il est orfèvre, joaillier, sculpteur, peintre à ses heures. Artisan entier, sensible et franc comme le bois. Il trouve refuge dans son camp pour étancher sa soif de beauté : il est amoureux des fleurs et des oiseaux. Homme de famille, sa mère est son héroïne. Il est père d’un garçon et grand-père de trois garçons, qu’il aime sans bornes.

Joséphine Bacon et Laure Morali se sont rencontrées sur la route 138 entre Montréal et Ekuanitshit. Au bout de mille kilomètres dans l’autobus qui se vidait petit à petit, elles se sont rendu compte qu’elles allaient toutes les deux passer une semaine chez la même personne, dans le même village. Tout était là pour faire naître une amitié, et pas seulement littéraire, qui dure depuis quinze ans maintenant. Ensemble, elles ont donné des ateliers de poésie bilingues dans toutes les écoles des communautés innues.

Laure dit de Joséphine : Complètement Montréalaise (elle vit à Montréal depuis cinquante ans) et complètement fille de la forêt (elle y est née), Joséphine Bacon transporte une poésie portagée de génération en génération depuis plus de dix mille ans. Elle connaît des légendes transmises oralement qui parlent encore des mammouths. Quand elle est arrivée en ville, elle a vécu avec un bébé castor pendant plusieurs mois. Elle a quatre enfants, dont deux jumelles. C’est une mère poule. Parfois le soir, quand le ciel est dégagé, elle se met à la fenêtre et dit : « Tu te rends compte ? On vit avec les étoiles ! » Elle a la meilleure recette de spaghetti à l’huile d’olive et à l’ail. Quand elle va en Bretagne, elle danse avec les marins. Quand elle est à Pessamit, elle court dans les blés au bord de la mer comme une petite fille. Elle est très désobéissante. Elle est aussi grande de cœur qu’elle est petite de taille. Joséphine Bacon est une rockeuse imprégnée d’Esprits.

Joséphine dit de Laure : Ma poésie est née du rêve de Laure Morali, est née quand elle a rêvé qu’elle devait jumeler des écrivains québécois avec des écrivains des Premières Nations dans le livre Aimititau ! Parlons-nous ! paru en 2007. Les Innus d’Ekuanitshit ont adopté Laure alors qu’elle avait à peine plus de vingt ans et qu’elle avait quitté sa Bretagne natale en suivant la route des vents vers les rêves de la terre cet animal (pour reprendre le titre de deux de ses livres). Laure est une grande poète. Dans mon premier recueil, un de mes poèmes lui dit : « Seule, debout, la tête aux directions multiples, je t’ai vue croire en ce monde invisible. Un seul sentier t’a conduite au kamanitushit. J’ai vu tes yeux pour les avoir regardés, toi qui nous vois sans artifice. Peu de mots sont utiles pour te connaître. Une vision de toi voyage sur une terre aux limites infinies de ta croyance. »

Mikis Allyson Jean-Hébert et Mathieu Bouchard se sont rencontrés au cours de leurs études au baccalauréat en arts visuels à l’Université Laval. C’est dans le cadre d’un projet au centre d’artistes Regart qu’ils ont mis leur pratique en commun pour aborder la relation du temps au langage. Après leur escapade vers La Tuque et leurs recherches sur la langue atikamekw, Mikis et Mathieu ont découvert une poésie profonde et inspirante, qui évoque un temps et une oralité liés au territoire.

Mathieu dit de Mikis Allyson : Originaire de La Tuque, Mikis Allyson n’a que faire de ce que vous direz d’elle. Il n’y a rien de trop grand pour elle, et c’est sans peur qu’elle avance autant dans sa pratique que lorsqu’elle roule à bord de son VUS entre Québec et la Haute-Mauricie. Même si Allyson vous dira qu’elle n’est pas poétesse, les gestes qu’elle pose dans le monde respirent la poésie et nous transportent dans un univers qui ne peut être que le sien. De la cascade de drapés qu’elle fera tomber du toit d’un édifice du boulevard Charest jusqu’à une marche que l’artiste fera pieds nus dans la pluie froide de mai, Mikis restera celle qui m’a un jour montré qu’avril était le mois où la lune se reflète sur la glace.

Mikis Allyson dit de Mathieu : Mathieu Bouchard vient de l’autre bord du fleuve, du « South Side Lévis », comme on dit ! Où et comment a-t-il obtenu son diplôme collégial ? C’est encore un mystère pour moi. Il m’a dit qu’il l’avait obtenu par reconnaissance d’acquis ou quelque chose comme ça. Mathieu, physiquement, il voit de haut, et c’est pareil pour sa grandeur d’esprit. La plupart du temps, il est blanc, mais parfois il rougit, et ça lui va bien aussi. Que ce soit dans son art ou dans les autres sphères de sa vie, c’est quelqu’un qui réussit toujours à magnifier ce qu’il vit.

Mathias Mark et Anne-Marie Proulx se sont rencontrés en pleine nuit, à l’arrivée du bateau au quai fédéral de Pakuashipi. Il faisait noir, et Anne-Marie a pu voir le territoire à travers les paroles de Mathias, d’abord. Depuis, avec la famille de Mathias, ils passent toujours le Nouvel An ensemble, à camper au bord d’une rivière ou d’un lac, ou à rire et à danser en haute-ville à Québec.

Mathias dit de Anne-Marie : Anne-Marie Proulx est de Lévis, en face de la ville de Québec, que je nomme Uepishtikueiau, dans notre langue innue. Elle travaille à VU, qui est là pour promouvoir l’art et pour aider les artistes à se développer. Elle est elle-même artiste et photographe. Elle est venue à Pakua à la fin de juillet pour la première fois. Au tout début, elle ne parlait pas beaucoup et ne connaissait pas encore les Innus. Ensuite, elle est revenue en hiver, et depuis, elle nous accueille quand on va à Québec. J’aime connaître sa façon de vivre comme Québécoise, et elle aussi nous a compris, a compris pourquoi le caribou, le porc-épic, le saumon, le territoire et l’identité nous tiennent à cœur. Mon maître, Sebastien Lalo, l’a surnommée Uishkatshanishkueu (femme-geai), car elle a déjà cousu une peau de caribou et parce que les geais étaient présents quand elle venait chez moi en janvier.

Anne-Marie dit de Mathias : Mathias Mark vient de Pakua Shipu, cette grande rivière qu’il regarde avec fierté en pensant à ses ancêtres qui, toujours, l’ont empruntée pour aller vers l’intérieur des terres. Avec sa famille et ses amis, Mathias parcourt à son tour le territoire afin d’aller camper, chasser et pêcher pour ensuite revenir dans sa communauté, où il travaille comme agent culturel innu-aitun. Il est proche des aînés, qui lui transmettent des savoir-faire et des savoir-être qu’il enseigne à son tour aux plus jeunes et à ceux qui, comme moi, ont beaucoup à apprendre de la culture innue. Je l’appelle Nishtesh (grand frère) parce que j’apprends en le voyant continuer à apprendre, lui aussi. Le soir, dans le sous-sol de sa maison, Mathias fume la pipe qu’il a sculptée lui-même. Il n’hésite pas à essayer le tartare de saumon de Uepishtikueiau, mais, pour lui, rien ne sera jamais comme le saumon fumé de Pakua.

Marie-Andrée Gill et Gentiane La France se sont rencontrées dans une maison qu’elles ont habitée toutes deux. Ensuite, elles ont fait la route ensemble, traversant le parc, entre rires et soleil. Depuis, leurs routes continuent de se croiser et leur amitié, de croître.

Marie-Andrée dit de Gentiane : Gentiane La France réussit à rendre la beauté des choses ordinaires par sa sensibilité complètement ouverte, à transmettre des connaissances, entre divers milieux, sur l’art et son pouvoir. Historienne de l’art, elle touche aussi à la photographie, à l’écriture et à la radio. Le milieu des arts actuels l’anime ; c’est un lieu qui parle son langage, celui de l’instinct, de l’intelligence émotive. Ce dont je me souviens à propos de notre première rencontre, c’est son rire, sa facilité d’entrer en relation avec les autres et sa simplicité de jour d’été. Les questions du territoire, de l’identité et du quotidien sont des angles esthétiques qui nous rapprochent.

Gentiane dit de Marie-Andrée : Marie-Andrée Gill habite dans mon village natal, L’Anse-Saint-Jean. Elle est poète, femme, mère, humaine, Ilnue. Elle est née et a grandi à Mashteuiatsh. Elle a publié trois recueils aux Éditions La Peuplade en plus de plusieurs projets d’autoédition. Marie-Andrée a écrit Béante et Frayer alors qu’elle vivait dans la maison où j’ai grandi. Nous partageons un territoire en différé. Un territoire dont elle explore le pouvoir évocateur et libérateur à travers sa pratique littéraire. Sa poésie, à la fois proche du quotidien et riche d’équivoque, me bouleverse souvent. Mes rencontres avec ce cœur grand ouvert, cette douceur d’esprit m’émeuvent aussi.

Guy Sioui Durand et Caroline Loncol Daigneault se sont connus, au pas de course, le long de la rivière Saint-Charles à Québec. Elle voulait connaître davantage l’histoire vécue des événements d’art-nature au Québec. Avec son œil de sociologue et son pied nomade, Guy l’avait vécue de l’intérieur, cette histoire, lui qui sillonne le Kébeq de long en large depuis des décennies.

Caroline dit de Guy : Il est un peu comme le soleil, Guy Sioui, partout à la fois, d’une égale intensité généreuse. Qui réchauffe, brûle parfois. Il éclaire les pratiques de sous-bois trop longtemps tenues dans l’ombre, celles qui vibrent sur l’ensemble du territoire, celles des Autochtones, des femmes et de tous les porteurs de vitalité artistique. Commissaire, critique d’art, conférencier-performeur, son œuvre ne s’arrête jamais… de rappeler la force de l’art et celle d’un vrai dialogue. Il faut lire les titres de ses projets pour repérer l’artiste dans le penseur-chercheur. Pensons à De tabac et de foin d’odeur. Là où sont nos rêves (Musée d’art de Joliette), par exemple. Guy Sioui Durand en appelle à un « réensauvagement » de nos imaginaires, rien de moins.

Guy dit de Caroline : Elle est l’eau qui capte les éclats du soleil en surface. De Kébeq jusqu’aux îles de la Madeleine, elle suit Magtogoek, le chemin du fleuve qui marche. À l’été 2011, notre conversation a commencé le long des berges de la rivière Akiawenrahk. Faite de bribes portant sur l’art-nature, la poésie et le réensauvagement, elle s’est depuis poursuivie. Nous nous sommes assis, l’année suivante, sur le bord du cap Diamant, à parler d’hospitalité, de la Biennale de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli. Un hiver dans Tiöhtià :ke, lampées poétiques et eau-de-vie sortie de son flasque. En 2014, un train de nuit nous a emmenés dans la baie des Chaleurs : duo d’écrivains-témoins des Territoires partagés en terre mi’kmaq. Ses dérives artistiques de commissaire façonnent Le Chant des pistes (2016) et une écoute à hauteur d’enfant pour Déranger (2019). Venez écouter son Vocabulaire de l’eau dans la tente parlante. Elle, c’est Caroline Loncol Daigneault.


La tente parlante racontée en images
Depuis le Nionwentsïo jusqu'à la Maison de la littérature
Toutes les photos de jour par Anne-Marie Proulx sauf si spécifié autrement
Toutes les photos de soir par Charles-Frédérick Ouellet




















Photo : Bruno Forest
































Photo : Alain-Martin Richard


Photo : Guy Sioui Durand


Photo : Guy Sioui Durand


Photo : Guy Sioui Durand