Terres éloquentes
En conversation avec Mathias Mark
Œuvre d'art publique et exposition dans le cadre de Manif d'art 9 - la biennale de Québec
Maison de la littérature, Québec
2019




Terres éloquentes est un parcours photographique et littéraire, écrit et oral, qui invite à parcourir le territoire et à porter attention à ce qu’il a à raconter. À l'extérieur, une photographie prise à l'intérieur d'une tente invite à entrer dans le territoire, à prendre le chemin de la Pakua Shipu vers l'intérieur des terres. Un mur photographique incite ensuite à chercher un sentier, dans la forêt immense, dans laquelle on apportera de nous, et où on trouvera aussi des éléments qui nous permettront de l'habiter. Pour enfin se retrouver dans l'intérieur des terres, où nous trouverons refuge, où nous monterons la tente dans laquelle nous verrons des constellations et les reflets des arbres tout autour. C'est aussi là que les paroles de mon ami Mathias Mark se joignent à mes photographies et à mes mots, et qu'elles éclairent toutes les images.

Cette exposition a été conçue in situ pour les espaces extérieurs et intérieurs de la Maison de la littérature, dans le cadre de Manif d’art 9 — la biennale de Québec, commissariée par Jonathan Watkins.

Merci à Mathias Mark, Tanya Lalo Penashue, Guy Sioui Durand, Gentiane La France, Claire Moeder, Valérie Litalien, Yvette Mollen, Ludovic Boney, Jonathan Watkins, Manif d’art, la Maison de la littérature et le Conseil des arts du Canada.




eukuan ne tshishtukan, ne patshuianitshuap
nenu, ekute anite e tshitapatakanit,
e tshitapataman ne tshishtukan, ne patshuianitshuap
ekute anite nipa mishken ne nimeshkanam
miam ne, ekute tekuak ne inniun
auen ka natu-mishkatishut
ekute anite meshkatishut
ne patshuianitshuap, e tshitapatakanit anite pitukamit

quand on regarde la tente
la porte
c’est là que je trouve mon chemin
c’est là que je trouve la vie
c’est là que je me retrouve
quand je me cherche je me trouve
mon identité est là

— Mathias Mark






Tu m’invites à voir dans les terres des images et des mots qui nous aident à faire sens du monde. À chercher des sentiers d’animaux qui nous guident vers nos propres intérieurs, des bois vivants mais aussi des bois morts qui nous seront nécessaires pour construire des refuges. Les branches de sapin feront un tapis, des troncs coupés serviront de piquets à la tente, et le bois sec nous permettra de faire du feu. Tu m’apprends que le bois planté dans la terre nous relie davantage à elle, que les odeurs de sapin s’offrent comme médecine, que le feu nous chante des berceuses et nous aide à rêver.

Dans la tente, j’entends les mots nutshimit, ishkuteu, shipu, mamit, utshashumekᵘ, uepeshekat, uapineu, nimushum, nukum, inniun, atikᵘ, teueikan, et je sais qu’il est question de l’intérieur des terres, du feu, de la rivière, de l’est, du saumon, du campement sur le banc de sable, de la perdrix blanche, des grands-pères et des grands-mères, de la vie, du caribou et du tambour. J’apprends des mots de ta langue, et je sais que nous cherchons à entendre une même parole, celle que la terre nous chuchote à l’oreille quand nous prenons la peine d’écouter. Ces mots sont aussi ceux du territoire qui se laisse connaître, qui transporte des messages par les vents, qui informe de la présence des ancêtres partout, de leurs enseignements, du respect du cycle des saisons et de la vie, des rythmes du cœur entendus dans la distance.

Dans les images que j’ai ramenées de l’intérieur de tes terres, le territoire nous fait voir des étoiles et des mouvements, entendre des voix, ressentir des présences. Quand les tisons du feu retombent sur la toile, ils y percent de petits trous qui filtrent la lumière et nous aident à observer le ciel, à tracer de nouvelles constellations. Dans les forêts qui m’ont déjà semblé être des murs, nous nous retrouvons. Entourés des arbres et de leurs ombres, nous cherchons ensemble à percevoir et à nous raconter la poésie de la terre.

— Anne-Marie Proulx














J’apprends à marcher avec mes peurs. La mousse recouvrant le sol de l’intérieur des terres est trouée de pas qui me précèdent. Je suis les longues foulées qui prescrivent le silence et la lenteur. Ce qu’il faut pour entendre le territoire, ressentir la présence de cet être qui sait marcher dans la forêt. Je commence à saisir que je ne suis pas seule, apprenant tranquillement à reconnaître les créatures, les vraies comme les imaginaires, qui nous accompagnent, nous traquent ou préfèrent nous fuir. On me demande si j’ai rêvé à l’orignal pour savoir s’il est proche. Et là se révèle l’image de celui qui m’a enseigné à marcher entre les arbres.

— Anne-Marie Proulx